MARRES Paul
Né le 10 novembre 1893 à Toulouse (Haute-Garonne), mort le 29 septembre 1974 à Montpellier (Hérault) ; professeur de géographie à la faculté de Montpellier de 1930 à 1963, directeur de la Société languedocienne de géographie ; résistant responsable du Front national à Montpellier.

Paul Marres est issu d’une famille d’origine italienne : ses ancêtres qui portaient le nom de Marezzi, sont venus de Florence : ils se sont installés en Guyenne au 18e siècle. Son grand-père Paul, directeur de l’école communale de Damazan (Lot-et-Garonne), fils d’instituteur lui-même, épris de laïcité, fut révoqué en 1850, arrêté en janvier 1852 après le coup d’État de décembre 1851, et déporté en Algérie en 1852. Un monument a été érigé au cimetière de Damazan à la mémoire des instituteurs Antoine et Louis Marres. C’était une famille de forte tradition républicaine.
Le père de Paul Marres, Louis, instituteur dans l’administration pénitentiaire, aidait les familles pauvres et donnait à leurs enfants des leçons gratuites. Son épouse, Adelaïde Mercier, était originaire de Châteaubriant en Loire-Inférieure. En 1893, Louis fut muté à Toulouse où naquit son fils Paul, puis nommé en 1907 « teneur de livres » à la colonie agricole d’Aniane dans l’Hérault. Paul Marres fit ses études au lycée de Montpellier jusqu’en 1911, puis au lycée Lakanal à Sceaux en 1911 et 1912. Après un échec au concours d’entrée à la rue d’Ulm, ce fut la faculté des lettres à Montpellier où il acquit la licence. Le professeur Jules Sion l’initia aux méthodes de la géographie et il choisit le Lodévois pour son Diplôme d’études supérieures soutenu en 1914. Au cours d’une première excursion sur le Larzac en juillet 1911, il avait en effet éprouvé « un choc et un enchantement » en découvrant le vaste paysage de ce plateau calcaire. Il occupait son premier poste de professeur à Lunel (Hérault) en 1915 quand il décida de s’engager par solidarité avec les soldats malgré l’avis de la commission de réforme. Il fit la guerre dans un régiment d’infanterie coloniale. Il en revint lieutenant et titulaire de la croix de guerre.
Il avait épousé une jeune fille d’Aniane (Hérault), Jeanne Serre, qui eut une première fille, Marguerite, en 1919 : il était alors professeur à Pézenas (Hérault) tout en préparant l’agrégation. Reçu en 1922, il fut d’abord nommé au lycée de Foix puis au lycée Joffre à Montpellier en 1923. En 1929, il participa à une excursion géographique internationale en Yougoslavie où il put admirer un riche répertoire de reliefs karstiques.
Paul Marres, socialisant, internationaliste, participa dans les années 1930 à des actions d’intellectuels antifascistes. Il portait un intérêt passionné aux évènements nationaux et internationaux. Excellent professeur, il fut rapidement chargé de classes préparatoires à Saint-Cyr, à l’École Navale, à l’École Coloniale, à l’École des Hautes Études Commerciales.
Chargé de conférences à la Faculté des Lettres en 1930, il y fut titularisé en 1932 comme assistant. Ses cours théoriques de géographie, de botanique, de géologie, étaient complétés par les nombreuses excursions qu’il proposait aux étudiants. Pendant les vacances, il entrainait sa famille à Meyrueis (Lozère), à Mende (Lozère) ou à Rodez (Aveyron). Quatre autres enfants étaient nés à Montpellier : Paule, en 1923 ; Jeanne en 1925 ; Louis en 1926 ; Françoise en 1939. Il parcourait les causses à pied, herborisait, dessinait, et préparait sa thèse. Attiré par la biogéographie, il avait été l’un des élèves préférés du botaniste Charles Flahault (1852-1935), l’un des fondateurs de l’écologie scientifique, auquel il dédia sa thèse de doctorat sur les Grands Causses (on lui doit cette expression), soutenue en 1935, avec la mention très honorable à l’unanimité. C’est cette monographie qui donna une véritable identité à ces pays calcaires topographiquement insérés dans le Massif Central tout en ne lui appartenant ni par la géologie ni par la botanique. En juillet 1939 il partit à Bordeaux où lui était proposée la chaire de géographie à l’université. Il ne put y enseigner qu’après l’armistice de 1940 car il avait tenu à s’engager malgré ses cinq enfants. Il servit comme capitaine dans un régiment d’infanterie coloniale sur le front de Lorraine. À Montpellier, le professeur Sion qu’il avait assisté pour la préparation des agrégatifs était mort en juin 1940. Paul Marres fut appelé à lui succéder en 1941. Très actif, il géra une mutuelle d’enseignants de 1924 à 1944. Il était le secrétaire de la Société languedocienne de géographie dont il devint le président en 1945. Il reprit avec passion son travail de terrain sur les Causses. Il sut développer le bulletin de la Société et ses conférences mensuelles avaient beaucoup de succès. Il présidait aussi la section montpelliéraine du Club cévenol et animait le Centre d’Études économiques régionales : il concevait la géographie comme une synthèse de connaissances et de techniques qui devait mise être au service des décideurs et des artisans des changements.
Pendant la guerre, Paul Marres compta parmi les universitaires montpelliérains qui refusèrent en chaire toute collaboration. Il était proche de Marc Bloch. Pour leurs publications les géographes étaient alors à la fois gênés par les pénuries – le papier en particulier –, et par la rareté des communications qui les empêchaient de poursuivre leurs recherches à l’extérieur de l’hexagone. Mais Paul Marres put continuer l’exploration de son territoire d’élection. Il fut de ceux qui continuèrent à publier, tant dans le Bulletin de la Société languedocienne de géographie, que dans celui de l’Institut de Géographie alpine : il entretenait des relations suivies avec le géographe Raoul Blanchard qui estimait que publier en temps de guerre relevait du « plus élémentaire devoir patriotique ». Quand fut instauré le STO, il aida les jeunes requis à trouver des filières vers la Haute-Savoie et l’Ariège. Il était en contact avec Henri Pupponi*, professeur de mathématiques à Montpellier – l’un des fondateurs du Front National dans cette ville – et Marcelle Barjonet*, professeur de philosophie. Son fils Louis qui distribuait des tracts comme beaucoup d’étudiants, fut interpellé en 1943. Lui-même échappa de justesse à une arrestation le 9 juin 1944. Il cachait chez lui, rue Paul Brousse, des résistants et des réfractaires. Henri Pupponi s’employait à leur fournir de faux papiers. Paul Marres apportait aussi une contribution financière au Front National qui réussit à se donner un organe de presse avec l’appui du professeur de latin Villeneuve qui inventa le titre La Voix de la Patrie. Son fils avait adhéré aux Jeunesses communistes en 1943. En 1944 il vivait dans la clandestinité. La famille s’était dispersée : répartie entre Aniane, Saint-Jean-de-Fos et Vendémian (près de Gignac). Louis Marres* participa avec les maquisards FTPF du Bousquet d’Orb (Hérault) aux combats dans la zone de Peytafi et de Magalas (Il fut tué le 21 août 1944 avec sept de ses camarades. Une stèle leur a été dédiée sur la RN 609-609 A). Après la guerre, ses soeurs Paule et Jeanne ont adhéré au Parti communiste. Paule a épousé un ancien résistant, camarade de son frère, au sein du même maquis, Georges Doumenc*. Jusqu’en 1948, Jeanne et son mari ont exercé des responsabilités au sein du Parti communiste à Brazzaville.
Paul Marres reprit ses activités de chercheur et d’universitaire. Il publia nombre d’articles scientifiques consacrés à la géographie languedocienne : des études sur l’Aigoual, sur les paysages de la Lozère, Bédarieux, le Larzac. Il s’intéressait à l’économie et à la démographie de l’Hérault, repérait les effets de la monoculture viticole ; il avait signé en 1935 un article intitulé "Le prolétariat viticole : aspects humains de la crise viticole" paru dans le Bulletin de la Société languedocienne de géographie. En 1950 il publia La vigne et le vin en France. Il ne resta pas indifférent au contexte politique de la décolonisation. En 1957 et 1958, il s’associa à des actions du Comité Audin initiées par Pierre Vidal-Naquet. Mais sa vie fut essentiellement consacrée à la géographie. Il multiplia les publications sur la montagne languedocienne, les paysages de la Lozère. Il comptait parmi ses élèves Gérard Bouladou, né en 1923 à Montpellier, engagé dans la Résistance pendant l’occupation et qui, en 1945, soutient son DES de géographie, préparé sous la direction de Paul Marres, sur la Vallée de Gardon. Il encouragea le travail d’Adrienne Durand-Tullou qui se fera connaitre en 1989 par son ouvrage Le pays des asphodèles. En 1963, un nouveau géographe arriva à Montpellier : Raymond Dugrand qui appartenait à la génération des géographes formés à partir de 1945 à l’Institut de géographie de Paris, élèves de Pierre George et de Jean Dresch, inscrits au parti communiste et tenants de la vision marxiste de leur discipline. Des gens de terrain, férus de
géomorphologie, qui pensaient que la géographie était une voie pour la connaissance des sociétés. Dugrand prépara pendant treize ans sa thèse sur Les rapports ville-campagne en Bas-Languedoc sous la direction de Pierre George. Il était inscrit au parti communiste. Ancien résistant, il appartenait en 1943 au maquis de Haute-Vienne. À Montpellier il rencontra donc Paul Marres, le biogéographe des garrigues. Paul Marres prit sa retraite en 1965 mais resta directeur honoraire de l’Institut de géographie de l’Université de Montpellier. De son côté, Raymond Dugrand se spécialisa dans les problèmes d’aménagement urbain, et joua un rôle de Conseil, il fut adjoint à l’urbanisme de Montpellier et travailla à la transformation de la ville jusqu’en 2000 (création du quartier d’Antigone). Sans être de la même école, ces deux géographes s’appliquaient à l’étude des liens entre le milieu naturel et l’homme et se plaçaient dans une perspective enfin reconnue aujourd’hui : celle de l’aménagement du territoire.
OEUVRE CHOISIE : Les Grands Causses, étude de géographie physique et humaine, Arrault et Cie, Tours, 2 vol. 1936, 213 et 445 p. — La vigne et le vin en France, Armand Colin, 1950, 224 p. — Saint Guilhem-le-Désert, le milieu et l’homme, imprimerie Artières et Maury, 1953. — Articles de la revue du Club cévenol, Causses et Cévennes, de 1967 à 1973. — Articles dans le Bulletin de la Société languedocienne de géographie, Montpellier (Société créée le 8 février 1878).
SOURCES : Entretiens d’Hélène Chaubin avec Madame Jeanne Marres en février 2010. — Alain Saussol, « La société languedocienne de géographie et les débuts de la géographie universitaire à Montpellier », dans le Bulletin de la Société languedocienne de géographie, 1990, n° 3-4, pp. 267-289. — Paule Doumenc-Marres, « Hommage à Paul Marres », dans Grands Causses, nouveaux enjeux, nouveaux regards, Fédération pour la vie et la sauvegarde du pays des Grands Causses, sous direction scientifique de J.L. Bonniol et A. Saussol, Saint-Georges-de-Luzençon (Aveyron), Presses de Causses Cévenne, 1995. — Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi (Québec), « L’invention d’un territoire et sa confrontation aux limites administratives. Le cas des Grands Causses », Cybergéo en ligne en 2005. — Laurent Beauguitte, « Publier en temps de guerre : les revues de géographie françaises de 1939 à 1945 », Cybergéo, Histoire de la géographie, article mis en ligne le 16 septembre 2008. — Gérard Bouladou, L’Hérault dans la Résistance, 1940-1944,Nîmes, Lacour, 1992, 207 p.

Hélène CHAUBIN



Étienne Alart est né le 5 août 1883 à Ille-sur-Têt dans une famille d’agriculteurs, Jules Alart (né en 1844) et Marie Bès (née en 1849). Célibataire, il exerce à Ille la profession de cultivateur avant de partir à Paris en 1911. Jusqu’à cette date, il ne manifeste pas d’idées antimilitaristes puisqu’il accomplit son service militaire au 12e RI (Perpignan et ensuite Tarbes, Hautes-Pyrénées, à partir du 27
juillet 1907) du 16 novembre 1904 au 14 septembre 1907. Il est même promu caporal le 6 novembre 1905.

À Paris, où il réside selon le feuillet matricule du 13 novembre 1911 au mois de juillet 1914, il travaille sur divers chantiers et fait plusieurs métiers. C’est alors qu’il entre en contact avec le mouvement anarchiste dont il adopte les idées. Comme le signalent les gendarmes d’Ille en 1917, « affilié à toutes les bandes noires, il était devenu un ennemi des plus irréductibles de la société ». Fin juillet 1914, il quitte Paris pour Ille d’où il part, la veille de la mobilisation, se réfugier à Figueres (Province de Gérone, Espagne). Il est un des rares anarchistes à être allé au bout de ses idées antimilitaristes. L’armée le déclare insoumis le 4 octobre 1914 et il n’est rayé qu’en 1936 à l’âge de 53 ans, ce qui signifie qu’il n’est pas revenu en France avant cette date, du moins sous son identité.   Au début de la guerre, il vit à Figueres avec un autre anarchiste d’Ille, Michel Vidalou  (maréchal-ferrant né le 26 septembre 1884 à Ille), insoumis comme lui. Il continue d’échanger du courrier avec sa mère qui selon les gendarmes partage les idées d’Étienne, surtout après la mort au combat d’un autre fils. Il inquiète les autorités françaises car il reçoit de l’argent de Paris. Son domicile est ainsi perquisitionné par la police espagnole à la demande du commissaire spécial de Cerbère en octobre 1914. La vie est difficile à Figueres par manque de travail. Alart adopte alors les pratiques des anarchistes illégalistes, la « récupération », c'est-à-dire le vol. Il est incarcéré à Figueres en juillet 1916, pour un vol d’avoine, acte qu’il a accompli avec un déserteur originaire de Foix. Après janvier 1917, plus aucun document ne mentionne sa présence dans l’Ampourdan. De même, la date et le lieu de son décès demeurent inconnus.


Sources :
Archives Départementales des Pyrénées-Orientales 1 R 465 : registre matricule de la classe 1903, matricule n° 484.   ADPO 1 R 471 : registre matricule de la classe 1904 (pour Vidalou).   ADPO 5 Mi 252 : registre d’état-civil de la commune d’Ille-sur-Têt (année 1883). ADPO 2 R 227 : renseignements de la gendarmerie d’Ille sur Étienne Alart (7 janvier 1917).  ADPO 2 R 227 : courrier du général Ferré, commandant la 16e Région militaire, au préfet le 16 mars 1916. ADPO 4 M 148 : rapport du commissaire spécial de Cerbère au préfet le 8 septembre 1914. ADPO 1 M 621 : rapport du commissaire spécial de Cerbère au préfet le 11 juillet 1916

Miquèl Ruquet